LA VÉRITÉ
Quand l’inspecteur s’était tourné vers Edmund Swettenham, Mitzi, opérant une retraite discrète, avait quitté le salon pour regagner sa cuisine. Elle faisait couler de l’eau dans l’évier quand miss Blacklock entra.
Mitzi la guettait du coin de l’œil.
— Vous mentez rudement bien, Mitzi ! admira miss Blacklock avec bonne humeur. Seulement, ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend pour la vaisselle ! On commence par l’argenterie et on emplit l’évier. On ne peut pas laver dans deux centimètres d’eau.
Obéissant, Mitzi ouvrit les robinets en grand.
— J’espère, miss Blacklock, que vous ne m’en voulez pas de ce que j’ai dit ?
Miss Blacklock sourit.
— Si je devais me fâcher chaque fois que vous proférez un mensonge, Mitzi, je serais perpétuellement de mauvaise humeur !
— Je vais aller dire à l’inspecteur que c’est une histoire que j’ai inventée...
— Inutile de vous déranger, répondit miss Blacklock en riant, il s’en doute !
Mitzi ferma les robinets. Au même instant, deux mains s’appliquaient sur sa nuque et, d’une brusque poussée, lui plongeaient le visage dans l’évier plein d’eau.
— Je suis seule à savoir que, pour une fois, vous disiez la vérité !
Miss Blacklock, avait prononcé ces mots presque sans desserrer les dents. Mitzi se débattait, mais miss Blacklock était forte et la pauvre Mitzi, le visage dans l’eau, étouffait déjà.
Et soudain, derrière elle, tout près, miss Blacklock entendit la voix de Dora Bunner, qui gémissait :
— Oh ! Lotty !... Lotty... Ne fais pas ça !
Miss Blacklock poussa un cri de frayeur et lâcha sa prise. Mitzi se dégagea vivement. Miss Blacklock, cependant, hurlait toujours. Car la voix continuait et il n’y avait personne dans la cuisine :
— Dora, Dora... Pardonne-moi ! Je ne pouvais pas faire autrement...
Affolée, miss Blacklock se rua vers la porte de l’office. La haute silhouette du sergent Fletcher se dressa devant elle, cependant que miss Marple, rose et l’œil brillant, surgissait du placard aux balais.
— J’ai toujours été très forte pour imiter la voix des gens ! s’exclama-t-elle, visiblement ravie.
Fletcher, cependant, s’adressait à miss Blacklock.
— Vous allez me suivre, madame. Vous serez inculpée d’une tentative de meurtre, dont j’ai été le témoin, et il y aura sans doute d’autres chefs d’accusation. Je dois vous prévenir, Letitia Blacklock...
— Charlotte Blacklock, corrigea miss Marple. C’est son nom. Sous cet énorme collier de fausses perles qu’elle porte toujours, vous trouverez la cicatrice de l’opération.
— L’opération ?
— L’opération du goitre.
Miss Blacklock, maintenant très calme, se tourna vers miss Marple.
— Alors, vous savez tout ?
— Oui, et depuis quelque temps déjà.
Charlotte Blacklock se laissa tomber sur une chaise et, la tête dans les mains, elle se mit à pleurer.
— Vous n’auriez pas dû imiter la voix de Dora... Parce que j’aimais Dora... Je l’aimais sincèrement...
Craddock, accouru avec les autres, était à la porte. Mitzi, remise de ses émotions et sa respiration recouvrée, célébrait sa propre gloire.
— J’ai bien joué mon rôle, hein ? Osez prétendre que je ne suis pas brave ! Elle m’a presque assassinée, moi aussi, mais je suis si brave que je prends tous les risques, n’importe lesquels !
Écartant tout le monde, miss Hinchliffe cependant se ruait vers Charlotte Blacklock. Le sergent Fletcher s’interposa.
— Voyons, miss Hinchliffe, voyons...
— Laissez-moi ! C’est elle qui a tué Amy Murgatroyd ! Laissez- la-moi !...
Charlotte leva la tête.
— Je ne voulais pas la tuer. Je ne voulais tuer personne. Mais je n’ai pu agir autrement... Celle à qui je songe, c’est Dora... Dora morte, je me suis trouvée toute seule... Toute seule !... Oh ! Dora ! Dora !
De nouveau, des larmes coulèrent sur ses joues.